Mission d’observation internationale – élections présidentielles
Bogotá, mai 2022 – Guylaine Roujol Perez
L’élection présidentielle est un acte clé de l’expression de la démocratie d’un pays. En Colombie, les élections sont souvent entachées de scandales, dont la face la plus visible sont les achats de vote, qui s’exercent au vu et au su de tout le monde. J’avais gardé le souvenir, lors d’élections locales, de files de personnes dans la Guajira (au nord-est du pays) recevant un déjeuner et un billet avant d’aller accomplir leur devoir de citoyen. La fraude s’exerce de bien d’autres façons. En empêchant certaines populations d’aller voter, en supprimant les transports en commun ce jour-là, ou en exerçant des contrôles de police visant à intimider les électeurs, par exemple.
Le rôle des observateurs internationaux est une des façons d’exercer une pression pour que le scrutin se déroule dans des conditions les plus normales possibles et de tenter d’améliorer ceux qui suivront, grâce à l’émission de rapports, fruits de l’observation de parlementaires étrangers ou de représentants d’ONG. AydenCo a été une de ces organisations accréditées à la fois par la MOE – Mission d’observation internationale – et le CNE -Conseil national électoral- à travers sa présidente, Guylaine Roujol Perez. Voici comment, dix jours avant le premier tour qui s’est déroulé le 29 mai, nous avons pu participer à de multiples rendez-vous, visant à nous faire une idée de la réalité des conditions de déroulement du vote.
Rencontres avec des organisations politiques (Coalition Centro Esperanza, Pacto Historico et partido Comunes), avec des organes de l’Etat telles que la Registraduria, en charge du respect des conditions d’exercice de ce vote, le Défenseur du peuple, mais également des syndicats, des représentants d’organisations indigènes ou afrocolombiennes, des maires de grandes villes, un évêque dans une zone de tension extrême à Buenaventura, des mères de prisonniers, des ONG de défense de droits de l’homme, des leaders sociaux et communautaires qui sont la cible d’organisations armées et de la violence d’Etat.
Tous les quatre ans, les électeurs colombiens sont invités à choisir un nouveau président. Le 29 mai 2022, les électeurs avaient à choisir un binôme (chaque candidat se présente avec son ou sa vice-président (e) parmi les 7 partis ou coalitions qui se sont présentés. Le bulletin de vote s’appelle une « cartilla », il convient de cocher son candidat en marquant une croix sur le cadre de son choix. Les bulletins du premier tour présentaient 8 groupes de deux personnes, car ils avaient été imprimés avant le renoncement de la candidate Ingrid Betancourt, qui s’est désistée 8 jours avant le jour J.
AydenCo a participé à des conférences de presse, nous avons également été invités d’un programme du Canal 2 de Cali où nous avons pu expliquer le travail de notre association auprès de populations défavorisées en Colombie, pour recréer du tissu social et garantir le droit à l’éducation entre autres.
Après une semaine de réunions et d’une formation détaillant les conditions dans lesquelles doit se dérouler la journée, le jour J, muni d’un formulaire d’observation, , notre groupe s’est rendu d’écoles en gymnases, de mairies en centre de votes dans des lieux stratégiques, pour effectuer l’observation.
L’ambiance un jour d’élection présidentielle est très différente de celle que l’on ressent en France. Les queues se forment devant les centres de vote avant leur ouverture. Il faut dire qu’à 16h, les portes se ferment et il est alors trop tard.
Pas d’isoloir mais des « cubiculos » de carton qui ne respectent pas vraiment la privacité du vote. Cela ne semble gêner personne, mais nous l’avons tout de même signalé dans notre rapport. Nous en profitons pour parler avec les jurés des tables de votation et nous nous rendons compte d’une anomalie leur permettant de voter deux fois, une fois à la table qui leur a été assignée pour vérifier le déroulement du vote, une autre à celle où ils sont inscrits.
Lors de la fermeture, nous nous trouvons dans une école du district d’Aguablanca, à Cali. Chacun d’entre nous s’intéresse à une table en particulier. Nous allons vérifier le décompte et le report des voix sur le formulaire E 14. A ma table, le comptage se fera quatre fois. Avec à chaque fois le même résultat. Il y a quatre bulletins de vote supplémentaire dans l’urne, en le comparant avec le nombre de votants qui se sont déplacés. Comme le veut la loi, 4 bulletins sont donc retirés de l’urne au hasard, et immédiatement détruits, sans même regarder ce qu’ils expriment. Et le nombre de bulletins correspond alors au nombre de votants.
Le 31 mai, le groupe de parlementaires et de responsables d’ONG a donné une conférence de presse au cours de laquelle nous avons commenté les conditions d’exercice du scrutin, dans un salon du centre d’affaires du Tequendama.
Les deux finalistes qui se sont rendu au second Tour était Rodolfo Hernandez de la Liga, un ingénieur ayant fait fortune dans le bâtiment, originaire du Santander, et Gustavo Petro, leader de la Colombie Humaine, à l’origine du Pacte Historique, une coalition de partis de gauche et du centre.
Le 19 juin, à l’issue d’une campagne où les idées et les programmes seraient presque passés inaperçus tant les attaques et les scandales en tout genre ont fait la une de l’actualité, Gustavo Petro et Francia Marquez ont été élus respectivement Président et vice-présidente de la Colombie. Leur nouveau gouvernement a débuté le 7 août, date à laquelle le président nouvellement élu entre à la Casa de Nariño, dans la capitale.